Jessica Dos Santos
Tijuana, México, NurPhoto vía AFP
L'économiste mexicaine, titulaire d'un doctorat de troisième cycle en Relations Économiques Internationales, Ana Esther Cecena Martorella, considère que Donald Trump a dû baisser le ton de ses menaces visant le Mexique.
Trump a dit qu'il baisserait de 25% les importations en provenance du Mexique. Si cela venait à se concrétiser, ¿quelles sont les conséquences que cela pourrait avoir sur les mexicains et quelle pourrait être la réaction du gouvernement de Claudia Sheinbaum?
Trump dit beaucoup de choses et profère un ensemble de menaces qu'il est difficile d'interpréter car il tend à compliquer la situation, non seulement à l'échelle d'un lieu où d'une région, mais pratiquement à l'échelle de la planète entière. Il est donc très compliqué de penser que les Etats-Unis puissent entreprendre autant d'initiatives qu'ils ne peuvent évidemment mener à bien. Trump a menacé d'imposer des droits de douane.
Ses premières menaces ont été graves, terribles, comme pour faire peur à tout le monde et ensuite, il a dû baisser le ton. Il l'a fait car, entre autres choses, les droits de douane affecteraient les entrepreneurs américains eux-mêmes puisqu'il n'y aurait pas d'approvisionnement suffisant en intrants. De telle sorte qu'il existe, en la matière, un frein interne. Make America Great again (MAGA)l'oblige à œuvrer petit à petit et de manière intelligente en créant les conditions pour parvenir à une situation de relative autosuffisance avant de couper les robinets d'alimentation.
En même temps, il maintient la menace, en particulier à l'égard de certains pays. La Chine, bien sûr, même s'il est très facile pour elle de contrecarrer cette mesure, voire d'imposer également des conditions qui affecteraient les États-Unis et qui ne leur permettraient pas de maintenir leur politique tarifaire. La Chine a même déjà déclaré qu'elle allait interrompre l'approvisionnement de certains produits aux États-Unis. Il insiste beaucoup auprès du Mexique parce qu'il s'intéresse au Mexique au-delà des tarifs douaniers, au-delà de l'aspect économique. Il souhaite intervenir davantage au Mexique. Le Mexique et le Canada font partie de l'Amérique du Nord et Trump part du principe que l'Amérique du Nord doit être réglementée d'une certaine manière par les intérêts et les politiques nord-américains. Il insiste donc beaucoup sur le fait qu'il va imposer au Mexique des droits de douane sur une série de produits. Il ne pourra pas en imposer tant que cela, il pourra le faire sans doute sur une partie des produits, pour que cela n'affecte pas trop l'économie américaine. En effet, aujourd'hui, nous devons prendre en compte le fait que la présidente du Mexique réponde d'une façon inhabituelle; les présidents précédents paniquaient et faisaient tout ce que les États-Unis disaient, même si certaines déclarations semblaient aller dans des directions opposées. Dans le cas présent, il ne s'agit pas seulement du discours, mais de mesures tarifaires en préparation que le Mexique menace d'imposer et qui affecteraient les États-Unis. Et comme les deux économies sont étroitement liées, le Mexique entretient naturellement une relation de dépendance très forte avec les États-Unis.
D'autre part, le pétrole mexicain est acheminé vers les États-Unis et en revient sous forme d'essence. Ce type de relation signifie que le Mexique est effectivement en danger en raison de sa très forte dépendance à l'égard des États-Unis. Mais il est également essentiel pour les États-Unis de s'approvisionner auprès du Mexique, notamment parce qu'une grande partie des entreprises américaines viennent effectuer au Mexique les étapes de leur processus de production qui requièrent beaucoup de main-d'œuvre, ce transfert leur permettant de baisser les coûts. Imaginez donc que l'industrie automobile américaine ne puisse plus compter sur les étapes du processus de production réalisées au Mexique. Elle ne serait pas en mesure de se maintenir, du moins à court terme. Donc, les Etats-Unis vont certainement maintenir cette politique d'application de certains droits de douane qui serviront à mettre un peu plus de pression sur le Mexique pour qu'il adopte certaines politiques, mais en vérité, ce ne sera pas si facile.
Il est également question d'expulsions massives de migrants en situation irrégulière: ¿que pourrait faire le Mexique dans ce cas de figure ?
Il s'agit de deux pays dont l'histoire est très liée. Dans tous les domaines, nous sommes confrontés à cette dualité : on annonce des plans sans pour autant avoir les moyens de les mettre en œuvre. Dans le cas de l'immigration, il n'est pas possible de renvoyer au Mexique tous les migrants mexicains qui n'ont pas de papiers, en d'autres termes, renvoyer soudainement chez eux 11 millions de mexicains. Ce serait bien sûr une chose très étrange, dans une certaine mesure une catastrophe, mais cela signifierait aussi une lourde perte pour les États-Unis, car les migrants sont très importants pour l'agriculture des États-Unis, pour un certain nombre d'emplois pénibles dans des villes comme Chicago. La main-d'œuvre immigrée sans papiers est embauchée sans aucun avantage, avec des salaires très bas, sans aucune sécurité de l'emploi, ce qui favorise également les entreprises aux États-Unis.
Ce qui se passe ici, c'est que le Mexique a déclaré qu'il se préparait à accueillir des migrants sans papiers, mais ce que nous n'allons pas accepter, c'est qu'ils nous envoient des migrants d'autres pays, c'est-à-dire des Honduriens, des Salvadoriens, des Guatémaltèques, que les États-Unis veulent expulser à l'heure actuelle. Le Mexique ne les recevra pas et dans ce cas, un gros problème se pose car il est notamment beaucoup plus coûteux et compliqué de les renvoyer dans leur pays. Gérer tout cela n'est pas facile, et ils ne sont pas capables de le faire actuellement. Peut-être peuvent-ils en créer les conditions, mais cela prendrait un certain temps. Je pense que ce que l'administration Trump va faire, c'est appliquer des mesures spectaculaires, scandaleuses et ce faisant essayer de négocier un autre type de conditions.
En ce qui concerne le trafic de drogue, certaines voix américaines ont parlé d'« attaques militaires sélectives sur le territoire mexicain pour démanteler le narcotrafic» : ¿pensez-vous qu'il soit possible qu'une telle chose se produise ?
On insiste beaucoup sur le fait que le Mexique est contrôlé par le trafic de drogue, que le Mexique n'a pas été en mesure d'éradiquer les cartels ni de contrôler leur fonctionnement, et que les États-Unis doivent prendre les choses en main. En d'autres termes, pour les États-Unis, il s'agit d'une menace notamment pour leur sécurité nationale, et ils considèrent qu'ils doivent intervenir directement dans le pays et y mettre de l'ordre. Lors d'une conférence de presse tenue il y a quelques jours, Donald Trump a de nouveau insisté sur le fait qu'il devait venir mettre de l'ordre au Mexique.
Il y a un certain nombre de considérations à prendre en compte. L'une d'elles est que les cartels ne sont pas uniquement mexicains. Les cartels mexicains sont liés à toutes les mafias de la drogue aux États-Unis et ces derniers devraient donc négocier avec les mafias de la drogue présentes sur leur propre territoire ou les punir en même temps. Je ne sais pas si ce serait facile ou faisable, compte tenu de la complexité de la situation mondiale au Moyen-Orient et des autres défis posés aux intérêts américains en Iran, en Corée, en Ukraine ou dans certaines parties de l'Afrique. Ils ont des défis à relever partout dans le monde et il n'est pas facile de les résoudre où que ce soit. Ouvrir un nouveau front, qui serait comme un appel à la guerre dans un pays avec lequel ils partagent une frontière immense et très poreuse, à l'heure actuelle, ce n'est pas facile, cela ne leur convient pas et cela ne résout rien. Et au-delà d'une guerre avec les cartels, que vont-ils faire de tout ce que représente l'économie de la drogue ?
C'est une économie porteuse, qui fournit de nombreuses ressources et la plupart de ces ressources sont générées aux États-Unis et profitent aux États-Unis. Ce ne sont pas les producteurs mexicains qui se taillent la part du lion, mais les Américains qui placent la drogue là-bas, en fixant les marges bénéficiaires les plus élevées. Les conditions ne sont donc pas réunies pour qu'ils s'emparent du problème, du moins à court terme.
Je pense que, comme Trump en a l'habitude, c'est beaucoup de bruit, beaucoup de bruit pour rien. Mais cela peut faire des dégâts, je pense, car il veut aussi tester la capacité de réaction des différents pays, en l'occurrence le Mexique. N'oublions pas que ce gouvernement n'est en place que depuis peu de temps et que les gouvernements précédents, y compris celui de López Obrador, qui disait beaucoup « non » et parlait de souveraineté tout en soumettant à l'ensemble des exigences des États-Unis. Ce même gouvernement s'est occupé de la politique anti-migrants dans le sud du Mexique et a entrepris une série de mesures qui en principe n'étaient pas acceptables, et pourtant, lorsque Trump a menacé la dernière fois d'imposer des droits de douane au Mexique, la frayeur a été si grande ici que les mesures voulues par Trump ont été immédiatement prises.
Dans le cas présent, il semble que ce ne sera pas le cas et il faut espérer que cela continuera ainsi, mais la position du gouvernement mexicain est actuellement beaucoup plus ferme. La présidente Claudia Sheinbaum a déclaré qu'il s'agissait d'un grand pays et que nous n'avions pas à nous sentir intimidés en nous comparant à quelque pays que ce soit, ni aux États-Unis ni à aucun autre pays, et que le Mexique allait donc défendre ses règles, sa justice, sa façon d'être et son indépendance. Je pense donc que ce sera une période difficile, mais que le Mexique va bien s'en sortir.
Traduction par Sylvie Carrasco. Relecture par Inés Mahjoubi.
Source: Investig'Action